Ophtalmologix
Messages : 11 Date d'inscription : 03/11/2012 Age : 29 Localisation : Bordeaux, cette chère ville qui fleure le bon vin~
| Sujet: Ophtalmologix, la sorcière de l'Ile de la Grobe [BG] Dim 4 Nov - 1:25 | |
| Salut à toi. Ou plutôt, bonne nuit. Désolé de faire irruption dans ton rêve, mais tu vois, je m’ennuyais. Donc, ben… Je m’incruste voilà. Mais rassure-toi, je ne vais pas t’embêter longtemps, j’ai quelqu’un qui m’attends autre part. Enfin, si on peut dire ça comme ça…
Qui ça ? Mais pourquoi tu me demandes ça toi, ça te concerne ? Non, tu vois ! Donc, si je n’ai pas envie de répondre, j’ai le droit. Laisse-moi tranquille, j’ai pas envie de parler. …Oui, d’accord, c’est moi qui squatte, c’est moi qui suis en faute. Mais ça ne me force pas à te parler pour autant. Si ?
Bon. Tu l’aura voulu. Mais que ça reste entre toi et moi, hein ? Je ne veux pas qu’elle soit mise au courant, pas tout de suite du moins… Elle, tiens, regarde-là.
Elle est jolie, hein ? Des cheveux blonds coupés à la nuque, un œil lapis lezoli et une peau caramel. Sans parler de ses grandes ailes translucides. T’en a déjà vu, d’aussi jolies éniripsas ? … comment ça, des plus belles qu’elle? Ce n’était pas une question ! Ha oui, son monocle… Bon, c’est pas ravissant, je l’avoue. Mais tu sais, c’est pas vraiment par choix qu’elle porte ça. Elle serait encore plus jolie sans, mais ainsi va la vie.
En fait, je vais te le dire : cette fille, c’est moi. Oui, je sais, je suis un peu plat pour une nénette ! c’est normal, je suis un mec, moi. Schyzophrène ? Ha mon pauvre, que tu es Iop…
Bon, on reprend tout. Je me suis mal exprimé. En fait, je loge dans son œil gauche, celui avec le monocle, là. C’est en partie à cause de ça qu’elle porte ce fichu monocle. Oui, moi aussi je le trouve moche.
… squatteur jusqu’au bout, peut-être... Ou tout simplement responsable d’elle.
Tu veux quand même en savoir plus ? Allez… d’accord. Je vais plutôt te montrer mas souvenirs, ça sera moins long qu’un grand discours.
Une forêt sombre. Des gostofs Pandawas un peu partout, la bave aux lèvres, écumant la terre à la recherche de quoi étancher leur soif. N’importe quoi. Du sang, s’il le faut.
Plus loin, cachée entre les racines d’un arbre, une femme. Les cheveux châtains, les yeux noirs, la peau pâle. Elle porte une combinaison noire tatouée d’un squelette rouge, et elle serre entre ses doigts tremblants une dague. C’est une Sram, et elle a peur.
Une larme roule sur sa joue alors qu’un Gostof se rapproche de sa cachette, les relents alcoolisés de son haleine emplissant son abri. Elle va mourir, elle le sait.
Soudain, une petite bleue se pose sur son genou, et se met à scintiller doucement. La femme arrête de respirer, soudain captivée par l’étrange insecte. La lumière s’intensifie, emplissant la pénombre de sa radiance, et la femme ferme les yeux. Un instant plus tard, alors qu’elle pensait mourir, elle entend le Gostof s’éloigner. La luciole volette jusqu’à son épaule, et clignote rapidement.
Il n’en faut pas plus. D’un bond, la femme se relève et plonge dans les buissons, galopant à en perdre haleine, le cœur animé d’une seule passion : survivre. Disparaissant dans l’ombre des arbres massifs, elle se fond dans les ténèbres pour fuir, la luciole sur son épaule clignotant faiblement.
Au bout d’une heure de course, elle tombe nez-à-nez avec un Gostof assoiffé, l’écume aux lèvres. Elle a relâché son attention et sa dernière chance de survie vient de lui filer entre les doigts, par négligence. Alors elle se met en garde, sa dague ramenée contre elle et ses jambes fermement ancrées dans le sol. Elle ne se laissera pas faire. Elle veut vivre.
Soudain, la luciole quitte son épaule et vole tranquillement vers l’esprit, avant de se poser sur son nez. Elle clignote rapidement, et sous son regard atterré, l’agresseur saute et disparaît dans les fourrés sans demander son reste.
La luciole reste devant elle, volant en faisant de petits huit en l’air, comme pour l’intimer à la suivre. Alors la Sram comprend que, quelle qu’elle soit, cette luciole est son passeport de survie, et elle range sa dague, tendant la main devant elle. La lumière s’avance, se promène doucement le long de ses doigts, les éclairant d’une lumière irisée, puis d’un coup, s’élance dans la brume. La jeune femme se précipite à sa suite, le cœur noué d’angoisse à l’idée de perdre sa piste.
Peu à peu, les arbres se font plus rares, la forêt s’éclaircit et se fait moins menaçante, plus lumineuse. Elle est épuisée à force de courir, mais elle n’abandonne pas. Elle continue de suivre la luciole qui n’en finit pas de s’éloigner, joueuse.
Soudain, les arbres semblent s’écarter et elle débouche sur une grande clairière parsemée de tentes où brûlent doucement quelques feux de camps dans la lumière du matin.
Elle se fige, interdite. Un campement sur l’île de la Grobe, l’île maudite hantée par des Gostofs morts à l’ère des Dofus ? Elle n’en croit pas ses yeux. Et dire qu’elle croyait mourir seule sur cette île, lorsque le Grand Déluge avait arraché le pont menant à la Pandalousie quelques semaines plus tôt…
Un petit Osamodas sort d’une tente, chargé d’un baquet de linge. Il se fige en l’apercevant, ses yeux faisant la navette entre elle et la luciole flottant juste à ses côtés. D’un coup, il lâche son baquet, qui tombe au sol dans un bruit mat, et rentre dans la tente en criant :
« -Papa ! Le gardien a ramené une fille ! »
Et alors de toutes les tentes surgissent des gens de toute classe, de tout âge, souriants comme s’ils l’attendaient depuis des lustres. Ils portent des tenues d’aventuriers et leur visage usé montre à quel point ils ont souffert sur l’île. Pourtant, le petit Osamodas revient rapidement lui prendre la main, les yeux brillants.
« -Toi aussi t’as été sauvée par le gardien, madame ! »
Tout le monde hoche la tête, rit. Elle ne sait pas quoi faire, que dire. Qui est ce fameux gardien dont les gens parlent ? Une main se pose sur son épaule et elle se retourne fébrilement, sur le qui-vive après sa course effrénée.
C’est un Osamodas d’une trentaine d’années environ, le teint caramel, les cheveux blancs et les yeux bleus, qui lève les mains pour l’apaiser. Le petit garçon qui l’a accueillie se retourne vers lui en babillant joyeusement.
« -Papa ! C’est elle, celle que le gardien a sauvé ! Elle va vivre avec nous, hein ?
-On a une tente, elle peut l’occuper. Du moins, si elle veut…»
Il a une voix grave et un peu rocailleuse. Une belle voix. Elle se sent frissonner. Il se tourne vers elle avec un sourire.
« -Alors, vous allez bien rester un moment mademoiselle ? »
Elle ne se sent pas le cœur de refuser. Elle ne le peut pas, de toute manière. Elle doit se reposer. Alors elle lui tends la main et il la prends la guidant vers une tente vide où il la pousse doucement.
« -Je… je vous remercie…
-Ce n’est rien, vraiment.
-Vous me laissez occuper cette tente ?
-Vous préférez dormir dehors ?
-..non.
-Passez une bonne nuit alors. Les présentations attendront demain. »
Il rabat les pans de toile devant elle et elle se retourne. La tente est très petite, elle contient tout juste un matelas en toile et une vieille couverture de lin, toute usée. Ce n’est pas le grand luxe, mais elle ne fait pas la difficile. Elle s’endort à peine couchée.
Et ben voilà, tu viens de me voir ! …non, pas la Sram ! L’Osamodas non plus ! Allez, tu vas y arriver…
Bingo, la petite loupiotte bleue ! Ouais, je sais, très classe. Mais que veux-tu, c’est déjà assez dur de se rendre visible en conservant sa conscience, alors si en plus je devais me dévoiler sous mon apparence… Et en plus, un gostof c’est effrayant. Une luciole, c’est mignon et ça met en confiance plus facilement, tu saisis ? Tu as vu comment ils m'appelaient à l'époque : le Gardien...
Pour éloigner les gostofs? Très facile. J'utilisais mon autorité et mon pouvoir d'éniripsa, et ils marchaient à la baguette. Enfin bon, c'était un peu plus dur sans voix... et ça ne marche pas sur tous les gostofs, mais sur ceux de l'ile de Grobe et ceux qui ont moins d'une centaine d'année, ça marchait comme sur des roulettes.
Et… tu ne remarques rien ? Allons… regarde bien le visage de la Sram… ses yeux ne te disent rien ? Et l’Osamodas, hein… Son sourire, là, sa couleur de peau… héhé, je vois que tu as deviné.
Ce sont ses parents, et ils viennent tout juste de se rencontrer ! Bon, je t’épargnes toute la scène de tourne-autour-que-je-veux-pas-lui-dire-qu’il/elle-me-plait-olala !
Ha, le gosse ! Oui, c’est le fils de l’Osamodas. Ha, le pauvre ! Sa femme était morte quelques mois avant, et il était allé ici pour oublier, avec son fils. Enfin bon, sans ça, ces deux-là ne se seraient jamais rencontrés.
Enfin bref, je vais sauter toute cette période jusqu’à la naissance de leur deuxième enfant. Ha oui, deux ans après leur rencontre ils ont eu une gosse. Une sram à la peau un peu plus foncée que celle de sa mère, aux cheveux châtains et qui vous regarde avec des yeux ! Ces beaux yeux bleu marine, ha… Une gamine craquante, je vous le dis.
Mais c’est pas elle qui nous intéresse, alors je vais te montrer, six ans après la naissance de la petite sram, celle de l’éniripsa. Regarde plutôt.
« -Rael ? Elle a quoi maman ? »
Le petit Osamodas a maintenant treize ans. Il est assis par terre, sa petite sœur de six ans sur les genoux. La petite aux cheveux châtains s’agite en regardant dans la direction d’une petite cabane où sa maman et son papa sont partis plus tôt. Elle suçote son pouce, et tire sur le collier de son frère.
« -Raaaael… Dis…
-Tais-toi, Hann. »
Elle fronce les sourcils et fait une moue agacée, tirant sur les plis de sa combinaison beige. Ici, pas de teinture ni de tissus. Sa combinaison est taillée dans un vieux drap et les parures que les disciples de sram arborent habituellement n’y figurent pas. Soudain, elle voit son père sortir de la maison, un paquet à la main. Elle se lève et courre vers lui, son frère sur ses talons.
« -Papaaa !! »
Il se tourne vers elle avec un grand sourire et s’accroupit en ouvrant un bras, l’autre soutenant délicatement le paquet de couvertures. Elle se jette contre son torse et il la soulève d’un bras. Elle rit.
Puis le petit paquet de tissus remue, et un faible glapissement en sort. Elle se penche vers lui, intriguée.
« -Papa, c’est quoi ? »
Il sourit encore plus fort et s’assoit par terre, l’installant sur ses genoux, et dégage un pan de tissus, dévoilant la figure ronde d’un nouveau-né. Hann se penche sur le visage de l’enfant et Rael en fait de même.
L’enfant a un petit nez retroussé et ses lèvres sont pliées en une grimace. Il a la peau caramel et quelques cheveux blonds. « -Ho ! C’est qui ça, papa ?
-Hann, Rael… je vous présente votre petite sœur, Ophtelia.
-Elle est mignonne… » murmure Rael en tendant la main vers elle.
Il effleure de la pulpe du pouce la petite joue bouffie, et l’enfant remue un peu. La petite bat des cils doucement, ouvrant enfin les yeux. Son œil droit et d’un bleu limpide aux nuances aquatiques. Son autre œil est totalement blanc.
Et oui, c’est elle… Ophtelia. Elle est née disciple d’éniripsa, alors que ses parents avaient la bénédiction d’Osamodas et de Sram. Tu y crois toi ? L’explication, c’est moi…
Vois-tu, j’ai passé beaucoup de temps avec sa mère depuis le début de sa grossesse. Être gardien, c’est pas un boulot facile… Mais bon, à force d’utiliser mes pouvoirs sur tous les Gostofs qui passaient un peu trop près de la mère, l’enfant s’est imprégné de mon essence… Et est passée sous la protection d’éniripsa. Ha !
Bref, c’est à cause de moi si c’est une disciple d’éniripsa… L’œil, par contre, c’est pas moi. Malformation de naissance ? Avec tous les morts qui rodent un peu partout, ça ne m’étonne pas que son organisme ai été un peu abîmé. L’île de la Grobe n’est assurément pas un endroit recommandé pour enfanter !
Enfin bref. Aucun des aventuriers n’était disciple d’éniripsa comme moi… Sauf cette petite. C’était une chance pour moi, parce que garder une conscience active 24heures sur 24, c’est vraiment pas un cadeau, quand on est un gostof !
Enfin, je vais t’expliquer. Ce qui constitue le pouvoir d’un éniripsa, c’est sa voix et sa volonté. Or, étant privé de voix sous ma forme de gostof, mon pouvoir était très réduit. Et en plus, la totalité de ma volonté était tout le temps monopolisée pour rester …moi. Encore quelques décennies et j’aurai perdu toute trace de moi-même.
Mais la naissance de cette enfant a radicalement changé la donne.
Vois-tu, elle avait ce que je n’avais plus : une voix… et ses pouvoirs d’éniripsas étaient calqués sur les miens. Elle pourrait protéger le village si je lui en donnais le pouvoir… C’est ce que j’ai fait.
Je me suis installé dans son œil aveugle et, de là, je lui ai transmis mes pouvoirs. Après ça, je n’avais plus besoin de me battre pour conserver une apparence visible, toute ma volonté était focalisée sur moi, et je ne risquais plus de perdre ma personnalité avant longtemps. C’était un peu précipité comme décision, mais c’était le meilleur moyen que j’ai trouvé.
Au début, les gens ont pris peut à ma disparition. C’est sûr, sans le gardien les gostofs allaient attaquer. Ils l’ont fait d’ailleurs, mais elle a crié et ils sont partis. Je te l'ai dis, les pouvoirs de l’éniripsa fonctionnent sur deux bases : le Verbe et la Volonté. Dans son cas, elle possédait ma volonté, mon pouvoir. Il lui a suffit de leur crier de toute sa volonté de partir, et ils ont déguerpit.
J’étais plutôt puissant de mon vivant. Ouaip.
Depuis, elle était devenue la nouvelle ‘’gardienne’’ du village. On l’avait même surnommée ‘’La petite reine du monde’’. A cette époque, ça la faisait rire, et elle était toute fière d’aider tout le monde.
Cette époque, c’était vraiment bien. Un jour, un vieux pandawa lui a expliqué que les médecins qui s’occupaient des yeux s’appelaient des ophtalmologistes, et la ressemblance avec son nom l’avait fait rire. Depuis, elle avait insisté pour qu’on l’appelle Ophtalmologix au lieu de Ophtelia. C’est vite devenu Ophta.
Tout allait bien. Le village se développait en un amoncellement de chaumières et il y avait quelques enfants, de plus en plus. C’était mignon d’ailleurs.
Et puis, l’évènement est arrivé.
Ce fut un jour noir, horrible. Le feu a tout pris, tout saccagé. Tu ne comprends pas ? Attends, je vais te montrer… Regarde. Regarde l’horreur de la guerre.
« -Tout va bien, Ophta.
-Maman… qu’est-ce qu’il se passe ? »
Ophtelia leva ses yeux humides vers sa maman qui souriait doucement. Tous les villageois sont rassemblés près du lac, en ligne. Des hommes en armure de métal gris et bleu sont arrivés sur la côte quelques heures plus tôt, ont tirés tout les villageois de leurs habitations et les ont rassemblés pour les compter. Ils sont six : un éniripsa, trois fécas, un sacrieur, un crâ et un xélor. Ils ont des visages menaçants et des armes, et Ophtelia a peur. Tout le monde a peur.
Un des fécas passe devant les gens avec un bloc et leur pose des questions.
« -Classe ?
-Pandawa.
-Âge ?
-Je vais sur mes soixante-huit ans.
-Profession ?
-Ebeniste… mais je ne sais plus si je pourrais encore… »
Le féca lui fait signe de se taire et note sur son calepin. Il se décale devant Rael.
« -Classe ?
-Osamodas, comme mon père.
-Âge ?
-Vingt-trois ans.
-Profession ?
-Aucune. Mais je me débrouille bien en braconnage. »
Le féca note, et se décale devant Hann.
« -Classe ?
-… disciple de Sram.
-Âge ?
-J’ai seize ans.
-Profession ?
-Péripatéticienne, ça ne se voit pas ?
-…péripatéti…
-Pute. »
Elle lui lance un sourire goguenard, et il rougit. Il est jeune, en regardant bien. Il ne doit pas avoir plus de dix-huit ans. Le Xélor lui donne un coup de coude dans les côtes en lui prenant son calepin.
« -J’l’aime bien cette fille-là. Elle a du caractère. »
Le féca rougit encore et va rejoindre les autres soldats qui ricanent. Le Xélor reprend le recensement à sa place. Juste après Hann, c’est le tour d’ Ophtelia. Le Xélor baisse les yeux sur elle, et il ricane.
« -Hé ben, petite, on a un œil de verre ?
-Je… c’est mon vrai œil…
-C’est pas très joli tout ça ! Tu n’as jamais pensé à le crever ? Non parce que moi, je ne pourrais pas supporter ce truc sur ma figure… »
Ophtelia sent les larmes monter à ses yeux, et elle serre très fort la main de sa mère et la main de sa sœur. Elle ne comprend pas pourquoi le soldat est aussi méchant avec elle. Personne ici ne lui avait jamais fait de réflexion sur son œil, pourtant !
« -C’est pas tout ça… Classe ?
-Je… éniripsa ! »
Le Xélor lève la tête, et regarde rapidement les villageois alignés. Il n’y a pas d’éniripsa dans le lot.
« -Ils sont où tes parents ? Ils sont morts ?
-Je suis son père. »
Le soldat se retourne vers l’Osamodas qui vient de parler.
« -Vraiment ?
-Oui. Et moi, je suis sa mère. Quel est le problème ? »
Le regard du xélor passe tour à tour de la Sram à la petite fille, puis à l’Osamodas, et encore à la petite fille. Il se gratte le cou d’un air irrité.
« -J’avais jamais entendu parler d’un enfant qui naisse sous la bénédiction d’un Dieu autre que celui de ses parents… Bah, c’est sans doute une tare, comme son œil. »
La mère d’Ophtalia lui serre fort la main, et la petite se retient difficilement de pleurer. L’homme parle d’elle comme d’un déchet. Et ça la touche plus profondément que ça ne le devrait.
« -On reprends… Classe ?
-…éniripsa.
-Âge ?
-D-dix ans.
-Profession ?
-J’en ai pas… »
Il note, lui lance un dernier regard et passe à sa mère. Ophtelia baisse la tête, rouge de honte.
Enfin, le sinistre recensement se termine. Les soldats s’engouffrent dans les maisons, et, sous le regard horrifié des villageois, sortent les meubles, les vident et les brisent pour découvrir une éventuelle cachette. Ophtelia regarde le spectacle d’un air effaré. Ils entrent dans sa maison, et commencent à vider les murs de la même manière. Ophtelia n’en peut plus. Elle se libère de l’étreinte de sa mère.
« -Ophta ! Reviens ! »
Mais la petite fille n’écoute pas. Elle court vers la maison et s’y engouffre, le cœur battant.
« -Arrêtez ! Vous avez pas le droit ! »
Elle se jette sur le plus vieux des fécas et tire sur sa tunique en criant. Il essaye de la dégager, mais elle tiens bon.
« -Gamine, lâche-moi.
-Non ! n’entrez pas ici, vous avez pas le droit ! C’est la chambre de maman !
-Mais lâches-moi ! »
Il donne un grand coup de botte qui atteint la petite à la poitrine, la jetant à terre. Ses poumons se vident brusquement sous la pression et elle se crispe de douleur. Le féca l’ignore et ouvre la porte.
La chambre de sa mère. Elle écarquille les yeux.
« -Non.. ! Pas là ! »
Mais le féca ne l’écoute pas, et entre dans la chambre. Elle est seule. Faible. Elle ne peut rien faire. Pourquoi est-ce que ces gens sont si méchants avec elle ? Pourquoi est-ce qu’ils font ça ? Elle crie.
« -Ai… Aidez-moi ! »
Sa voix semble résonner dans le couloir, sans réponse. Pui un hurlement déchire le silence, et le féca recule précipitamment hors de la chambre, un bouclier magique dressé devant lui. Un grondemant guttural s’élève de la chambre, puis un gostof pandawa se jette sur le bouclier, la bave aux lèvres, agitant les bras pour attraper sa proie.
Pendant un instant, on croirait que le féca va s’en sortir. Puis des hurlements s’élèvent autour, et trois gostofs surgissent du sol et du plafond pour se jeter sur lui.
C’est un véritable carnage. La petite fille est tétanisée de peur devant le spectacle de mort, les quatres Gostofs se jetant avidement sur l’homme pour le mettre en pièce, déchirant ses membres et dévorant ses chairs sous les hurlements d’horreur. Elle se plaque les mains sur la bouche et hocquete de terreur lorsqu’un bras arraché vient la heurter, maculant sa robe de sang. Un gémissement franchis ses lèvres alors qu’elle regarde les Gostofs continuer leur sale besogne, se repaissant du sang à flot.
Un bruit dans l’escalier. Le crâ arrive, alerté par les cris, et se fige devant la scène. Instinctivement, il saisit son arc et tire des flèches dans les tas hurlant.
« -Gamine, sauve-toi ! »
Mais elle continue de fixer le spectacle sans pouvoir bouger, ses yeux débordant de larmes.
Le crâ peste et continuant de tirer, persuadé que la petite fille est en danger. Attirés par ses tirs, les gostofs abandonnent le tas sanguinolant qui leur servait de repas et se jettent sur le crâ, qui pousse un cri de guerre.
« -Tu m’as entendu, petite ? BOUGE ! »
Un gostof lui arrache son arc et mords à pleines dents dans son bras. Elle ne peux plus supporter ce spectacle. Elle hurle.
« -ARRÊTEZ !! »
Les fantômes se figent et dirigent un regard torve vers elle.Elle se relève difficilement sur ses jambes, le visage sillonné de larmes, alors que le crâ la fixe sans comprendre.
« -Allez-vous-en, je vous l’ordonne ! Disparaissez !! »
Dans un même ensemble, les fantômes se plaquent contre les murs et s’y enfoncent, laissant la petite et le crâ seuls. Elle glisse un regard vers le cadavre et se détourne violemment, écoeurée. Il ne reste de l’homme qu’un tas épars de membres déchiquetés et d’armure, le sang colorant les murs jusqu’au plafond.
Le crâ lui saisit le bras fermement, et la traîne derrière lui. Elle pousse un petit cri de douleur alors qu’il la tire sans douceur, le visage fermé.
« -Vous… vous me faites mal !
-Tais-toi, Sorcière ! »
Elle se tait, atterrée. Le crâ la tire violemment à la lumière, sa main gantée serrant le bras tendre sans pitié.
Les soldats les regardent arriver sans comprendre, et le crâ la jette sans ménagement à ses pieds. Elle gémit en rencontrant le sol, ses coudes s’écorchant contre le sol caillouteux du village. Le jeune féca s’agenouille près d’elle pour l’aider, mais le crâ le repousse du bout de son arc.
« -Mais qu’est-ce que tu fous ?
-Vas voir à l’intérieur, ce que ce monstre a fait. »
Le sacrieur fronce les sourcils et disparait dans la maison. Il ne tardepas à en ressortir, un casque en métal gris et bleu brillant de sang à la main, et le jette sur la petite fille.
« -C’est dégueulasse ! Elle a essayé de le bouffer ou quoi ?
-Des Gostofs. Quatre. Et ils lui obéissaient. »
Le sacrieur fait une grimace et le crâ pose un pied sur le casque, clamant d’une voix forte.
« -Ecoutez-moi tous ! »
Il inspire profondément, s’assurant que l’attention est tournée vers lui.
« -Nous somme des guerriers de Bonta venus conquérir des terres au profit de notre nation, pour repousser les assauts de la vile Amakna. Nous sommes des émissaires du bien. Et ce que nous avons vu ici nous a horrifiés. J’ai été témoins des actes les plus barbares qui existent, ici même, dans cette maison, et le tout par cette gamine ! »
Il donne un coup de pied dans le casque, qui vient heurter une pierre avec un tintement sinistre.
« -Aujourd’hui, nous perdons un camarade dans d’atroces circonstances ! Mais justice sera faite, et son assassin sera punit ! Le mal sera purifié ! »
Il fait un signe de tête au sacrieur qui lance son poing tatoué sur Ophtelia, lui arrachant un cri de douleur. Les tatouages s’enroulent autour d’elle, la ligotant fermement, et elle pousse un petit gémissement.
« -La Sorcière sera exécutée sur l’heure ! »
Ophtelia écarquille les yeux, un poids énorme lui tombant au creux de l’estomac.
Sorcière ? C’est donc ce qu’elle est ? Un monstre ?
« -NON ! »
Elle tourne le regard vers le cri. Sa mère la regarde, les poings serrés sur sa poitrine, un air horrifié sur le visage.
« -Vous n’avez pas le droit de faire ça ! Comment osez-vous la frapper, et l’insulter ? Ce n’est qu’une enfant !
-Madame…
-C’est VOUS les monstres ! Vous qui débarquez de nulle part pour détruire nos vies et piller nos biens ! Et maintenant, vous voudriez tuer notre fille?! »
Une clameur s’élève de chez les villageois. Tous se mettent à crier, à injurier, à frapper du pied. La sram s’avance vers eux, suivie de près de son mari qui regarde les soldats d’un air rageur.
« -Elle nous a toujours protégé des Gostofs ! Elle n’a jamais rien fait de mal ! Et vous, vous voudriez la tuer ? »
Le crâ tique à son discours, et pointe son arc sur elle.
« -Vous voulez dire que vous vivez en paix grâce à elle ?
-..Oui… c’est pour ça que vous ne pouvez pas la tuer ! »
L’homme baisse la tête. La sram s’avance pour reprendre sa fille, mais le crâ lève vivement son arc et elle est stoppée net. Un cri secoue les villageois, alors que les yeux d’Ophtelia s’écarquillent de stupeur. La Sram porte sa main à la flèche traversant sa poitrine, l’air interloquée.
« -Ha…je.. »
Elle ne peut en dire plus. Elle s’effondre en arrière, morte avant d’atteindre les bras de son mari. Il y a un court moment de silence stupéfait face à sa chute. La mort a frappé, vive et précise, et personne n’a eu le temps de le réaliser que la femme gisait déjà, sans vie, dans les bras de son homme.
Le crâ lève son arc vers l’Osamodas soutenant le cadavre, et profère sombrement :
« -Au nom du bien et de la justice, je vous condamne tous pour sorcellerie à la peine capitale. »
Et c’est le chaos. Les soldats se jettent sur les villageois, les armes à la main, et une grande mêlée est lancée. Dans le désordre ambiant, Ophtelia aperçoit de loin le jeune féca tirer sa sœur Hann par la main et l’entraîner en direction de la côte. Elle veut crier, mais le sacrieur plaque sa main sur sa bouche pour l’en empêcher.
Un enfant s’effondre à leurs pieds dans une gerbe de sang, sa tête rousse s’écrasant contre le pavé pour ne plus remuer. Elle le connaît. C’est le petit crâ qui était né cinq ans plus tôt. La mort l’a cueilli sans faire de différence.
Elle réalise à peine que les tatouages se resserrent autour d’elle. La mort l’enveloppe, lourde comme une chape de plomb, sinueuse comme un serpent. Elle lève sa grande faux dans la foule et les gens tombent, comme fauchés par un foulard de soie écarlate.
Elle tremble, et elle pleure. Ils sont perdus.
Les villageois sont plus nombreux, mais beaucoup sont trop vieux pour se battre, ou trop jeunes, et ils sont désarmés. La bataille tourne au massacre. Et le sol devient rouge.
Ce n’est que dans la soirée que le combat prend fin. Les derniers survivants sont parqués dans leurs maisons avec les cadavres, et le crâ s’approche du xélor avec un petit mouvement de tête. Ophtelia ne comprend plus rien. Elle a vu son père, poussé dans la maison avec le cadavre de sa mère dans les bras, un œil clos recouvert de sang. Elle cherche son frère des yeux, mais ne le trouve pas, ni lui, ni sa sœur et le jeune féca.
Plus loin, le xélor discute avec l’éniripsa qui dessine des symboles étranges sur les murs des maisons. Elle les voit s’éloigner, puis l’éniripsa fait un signe.
Tout s’embrase.
Elle pousse un grand cri que le sacrieur étouffe. Les soldats regardent, impassibles, les toits de chaume prendre feu, éclairant la nuit d’une lueur sanglante. Des cris s’élèvent des brasiers, des hurlements déchirants alors que tout brûle, et elle pleure.
« -Que le mal soit purifié… »
Le crâ fait un signe étrange en baissant la tête. Il a l’air sérieux, et triste. Elle ne comprend pas. Elle se débat, mais le sacrieur la retient fermement. Alors elle ne peut que verser des larmes en frissonnant d’horreur, les cris emplissant ses oreilles alors que sur sa rétine s’imprime l’image de ces flammes qui montent vers le ciel, avides.
Les hurlements finissent par décliner, puis les voix se taisent pour de bon. Les maisons brûlent toujours, mais le feu a fait son office. Déjà, le crâ se retourne vers elle.
« -Par ta faute, ils sont tous morts. Nous avons dû les purifier par les flammes. Leur dieu les guidera vers Externam, mais tu n’aura pas cette chance. Tu seras punie pour tes méfaits, je peux te le jurer. »
Il frappe sa poitrine de son poing, son arc serré dans l’autre, et baisse la tête. Puis il se relève, et lance quelques ordres. Rapidement, le bois s’entasse près de la berge en un monticule bien rangé autour d’un vieux pin sec. Le sacrieur la tire vers le tas, et ses yeux s’écarquillent d’horreur en voyant les torches dans les mains des soldats qui entassent la paille entre les rondins.
Un bûcher.
Le xélor se tourne vers elle avec un air préoccupé, puis s’adresse au crâ.
« -Tu dis qu’elle donne des ordres aux gostofs ?
-Oui. Et ils lui obéissent très bien, crois-moi.
-Même si on la baillonne, le feu va faire crâmer le baillon en premier… elle pourra donc les appeler.
-Tu as une idée ? »
Le soldat pose la main sur le bas de son masque de métal, puis une lueur malsaine fait briller ses yeux.
« -Une brûlure de plus ou de moins… quelqu’un peut faire bouillir de l’eau ? »
Je t’épargne la scène ensuite. C’est vraiment trop horrible. Non, je te jure, je ne suis pas là pour te donner des cauchemars. Tu sais déjà ce qu’ils ont fait, hein ?
Ouais. Ils lui ont brûlé la gorge. Affreux, non ? Enfin, tu n’étais pas là, toi… J’étais aux premières loges et j’ai tout ressenti, les émotions comme les sensations. C’était horrible. J’en tremble encore aujourd’hui, en y repensant…
Pourquoi je n’ai pas agi ? C’est vrai, je ne t’ai pas expliqué… Comment dire… ?
En fait, pour prendre possession d’un corps ou en sortir, il faut avoir la pleine volonté dessus. Or, tant qu’elle était consciente, sa volonté me liait à elle et m’empêchait de faire quoi que ce soit. Pour prendre le contrôle, j’aurai dû soumettre son âme, la briser… et alors, à quoi ça aurait servi ?
Bref. Ils lui ont ouvert la bouche et déversé le contenu d’une casserole fumante dedans. Tu t’es déjà brûlé la langue ? C’est rien du tout, ça. Moi, je te parle de brûlures à l’intérieur de la bouche, celles qui te donnant des cloques et qui te décollent la peau, celles qui te mettent la chair à vif et te donnent envie de t’arracher la chair. Je te parle de meurtrissures jusqu’au plus profond de la gorge.
Voilà. Je crois que tu as compris.
Ensuite, ils l’ont attachée sur le bûcher et le crâ a encore prononcé un de ses jolis discours sur le bien et la pureté, puis ils ont jeté une torche dans la paille.
Au début, c’est la fumée qui l’a faite suffoquer. Une grosse fumée bien noire, comme si on avait jeté du carbone dedans. Ce qui ne m’étonnerait pas d’ailleurs, les rituels Bontariens sont tellement tordus…
Et puis, après la fumée, les flammes. C’était presque beau, je te jure. Elles avaient de si belles couleurs, tantôt rouge, tantôt bleues à cause du bois flotté qui se trouvait dans le lot. Une myriade de fées d’artifices mortelles.
Sauf que ça ne lui a inspiré que de la terreur. Et le pire, c’est qu’elle ne pouvait pas crier. Quand les flammes ont léché ses jambes, elle s’est recroquevillée contre l’arbre où elle était ligotée dans un silence épouvantable. Elle a ramené ses petites jambes d’enfant contre elle et elle a serré les dents si fort lorsque le feu a commencé à la mordre. Je ne veux plus me rappeler de l’étendue de sa souffrance… Et les gardes, ils avaient fermé les yeux et ils priaient au pied du bûcher. Ils avaient fermé les yeux sur ce qu’ils faisaient.
Je n’ai jamais autant haï quelqu’un de ma vie.
Je les ai détestés, je les ai maudits alors que le feu dévorait Ophtelia. Elle souffrait tellement, se tordant dans le brasier qui lui avait déjà recouvert la peau de cloques sanguignolantes, et l’air avait l’épouvantable odeur de chair brûlée. Elle a bien fini par s’évanouir, et je n’ai pas hésité une seule seconde.
J’ai bondi sur le dernier des fécas et j’ai brisé son esprit sans pitié. Je me souviens encore de la tête de ses camarades lorsque j’ai lancé une lame de fond sur le bûcher pour l'éteindre, en utilisant son corps et son pouvoir. Ils se sont jetés sur lui pour le maîtriser, mais j’ai déserté le corps aussi sec pour posséder l’éniripsa, laissant aux bras des soldats le corps bavant et grelottant de ma victime.
J’ai soigné Ophta à tour de bras avec ce corps. Elle était complètement brûlée et aurait été défigurée si je n’avais pas agi vite, alors j’ai consumé la vie de mon hôte pour la lui offrir.
Je ne te raconte pas la panique chez les soldats, en voyant leur coéquipier murmurer des mots dans le vide, alors que la petite fille se régénérait à vue d’œil. Mais ce corps avait ses limites et j’ai dû l’abandonner sans avoir terminé de soigner ses brûlures les moins graves, aux bras et au ventre.
Le crâ a encoché une flèche, alors j’ai lancé mon âme à l’assaut du Xélor et j’ai contré son attaque. Puis j’ai attrapé Ophta et j’ai utilisé les pouvoirs du Xélor pour nous téléporter, loin.
Cette nuit-là fut charnière. De leur petite troupe, il ne restait plus que le crâ et le sacrieur. J’avais brisé l’esprit des autres soldats sans une once de remord. Quand je me suis assuré qu’elle irait bien, j’ai envoyé le xélor ailleurs avant de rejoindre ma place dans son œil.
Et ensuite, je n’ai rien eu à faire…
C’est un bruit étrange qui réveille Ophtelia. Elle se relève, encore engourdie d’abord, puis bondit en se remémorant les évènements de la veille. Un hocquet la saisit, et elle se penche pour vomir une bile amère, son estomac se tordant d’épouvante. Elle a brûlé. Elle a brûlé, elle s’en souvient parfaitement ! Et pourtant, elle est en vie ! Comment ?
Elle pose un regard sur son corps presque nu, couvert de suie et de cendres. Elle a bien brûlé… Alors pourquoi n’est- elle blessée… qu’aux bras et au ventre ?
Elle se plie avec un petit gémissement alors que son ventre à vif la lançe, et hocquette de stupeur. Elle peut de nouveau parler. Pourtant, sa gorge a brûlé, elle aussi…
Ses doigts frémissants se posent sur les brûlures qui ceignent ses avant-bras. La chair molle s’enfonçe avec un bruit écoeurant, la faisant couiner de douleur. Tout est donc bien réel… Elle se prend la tête entre ses mains, frissonnant en sentant entre ses doigts les rares mèches de sa chevelure ayant survécu au feu.
Elle a brûlé. On l’a brûlée.
On les a tous brûlé. Elle se sent soudain submergée par une haine sans limite, une rage implacable envers ces soldats qui ont invité la mort et la souffrance dans sa vie. Ils doivent payer.
Elle se penche sur le sol, les bras serrés contre son ventre, et hurle.
Aussitôt, une foule de mains fantomatiques émergent du sol, des corps de pandawas assoiffés se tirant comme à grand-peine de la terre pour s’affaisser à ses pieds, l’écume aux lèvres et les yeux brillant d’une lueur avide.
Elle les contemple, ses lèvres pincées. Ils sont nombreux. Très nombreux. Et surtout, ils ont soif. Elle n’hésite pas une seconde, portée par la colère et la haine.
« -Tuez les soldats, je vous l’ordonne ! Qu’il n’en reste rien sur cette île !! »
Les gostofs poussent un rugissement féroce avant de s’élancer dans les bois, à travers les arbres. Elle se lève et commence à marcher vers le village, ses petits pieds nus butant sur le sol inégal. Elle doit marcher pendant quelques minutes avant d’atteindre la grande clairière.
C’est un spectacle désolant. Il ne reste des cabanes en bois que des décombres où errent, sans but, une multitude de gostofs au visage familier. Elle resserre ses bras autour d’elle avec un gémissement peiné, les larmes débordant de son œil. Ces visages qu’elle connaissait si bien sont à présent tous vides et ternes, la moindre trace de vie les ayant fuit pour toujours.
Elle se détourne du spectacle, une main sur la bouche pour ne pas faire de bruit, et se retire sous le couvert des arbres. Elle ne se sent pas la force de traverser les ruines hantées de gostofs, incapable de supporter la vue de sa famille, morte pour avoir voulu la protéger. Alors elle se cache à leur vue, et elle marche jusqu’à la côte, jusqu’au navire qui a apporté la mort sur son rivage.
Sur le navire, plus un bruit. La passerelle est baissée et quelques traces noires de suie parsèment le bois clair, signe de combats. Elle serre les dents et commence à monter sur la passerelle. Elle a donné un ordre, elle sait ce qu’elle va trouver sur le pont.
Elle n’est pas déçue. Le pont du navire est jonché de restes, des tas épars parfois complètement impossibles à identifier, mais souvent quelques membres humains maculés de sang. Un bras, une cuisse, une tête, un arc… Elle regarde le spectacle morbide de ces chairs atrocement arrachées à la vie, le sang encore frais dégoulinant sur le pont telle une mare putride, mais ça n’apaise pas la haine qu’elle ressent encore. Et malgré tout, elle arrive encore à pleurer.
Elle se précipite à la rembarde et elle vomit une bile jaunâtre, amère. L’odeur du sang et de la mort lui emplit les narines, et la fait suffoquer.
« -Qu’est-ce que j’ai fait, mon Dieu … »
Elle regarde derrière elle en s’essuyant la bouche. Sur le pont, les visages arrachés sont figés dans une expression de terreur, et semblent la regarder. Elle lève les yeux, s’efforçant d’ éviter leurs regards. Eux non plus, elle ne peut pas les affronter.
Un instant, elle songe à courir loin de ce bateau, loin du village et à disparaître dans la forêt profonde. Elle serre le poing en pensant aux décombres fumants qu’elle a laissé derrière elle, et balaye l’idée. Elle ne peut pas rester sur l’île, seule vivante marchant au milieu des morts. Elle doit s’en aller.
Où ? Elle ne le sait pas. Elle a un bateau et un équipage obéissant sans réplique au moindre de ses caprices, ça lui suffit. Elle va partir et accoster quelque part, n’importe où, et elle se fera oublier.
Elle commence à avancer sur le pont, ses pieds foulant les flaques rouges avec des petits bruits écoeurants. Il y a une porte de cabine, et elle espère y trouver des vêtements. Effectivement, c’est une chambre. Elle y trouve une marinière qu’elle enfile, et elle jette ses vêtements carbonisés dans l’eau.
En jetant ses affaires par-dessus bord, elle remarque qu’il manque une barque. Elle repense à sa sœur qui courre, traînée par le jeune féca. Elle doit être vivante, elle l’espère.
Elle se retourne pour voir le gostof du crâ la fixer de ses yeux vides, ça la secoue. Pour la deuxième fois depuis qu’elle a vu leurs corps mutilés, sa volonté vacille. Elle regrette. Mais c’est trop tard maintenant.
« -Vous... vous pouvez encore manipuler ce bateau ?
-… »
Le crâ répond par un petit hochement de tête, sans la moindre émotion.
« -Emmenez-moi... jusqu’à la terre la plus proche. »
Le fantôme se détourne et les fantômes de soldat s’agitent sur le pont, détachant des cordes et en resserrant d’autres. Enfin, la voilure tombe, gonflée par le vent, et l’embarcation s’ébranle. Elle se penche au bastinage, humant l’air marin qui balaye les effluves de sang de l’air. Elle a les larmes aux yeux, et elle s’en va.
Et voilà… C’est comme ça que tout a commencé. Ho, le voyage en lui-même n’a pas été difficile : elle tapait dans les réserves de la cale et elle passait ses journées perchée sur la proue du navire, pour ne pas regarder les cadavres qui jonchaient le pont. Je ne te raconte pas l’odeur de ce truc, au bout de quatre jours…
Elle a été soulagée en accostant. C’était dans les champs qui chantent, à Amakna qu’elle a jeté l’ancre.
Comme tous les jours depuis le début de son voyage, elle s’est assise à la proue du bateau. Le vent fouette son visage, faisant voler ses courtes mèches blondes. Ses cheveux, le feu les a dévorés jusqu’à la nuque et devant le visage. Elle a maintenant le visage dégagé et un air de garçon manqué, à cause de ses cheveux et de ses vêtements.
Elle fronce le nez, dos au pont. Les corps pourrissent sous le soleil, et une infâme odeur de putréfaction envahit l’air malgré le vent marin. Elle n’a pas le courage de les nettoyer pour autant, alors elle serre les dents et guette la terre avec impatience. Soudain, elle distingue quelque chose au loin. Elle se penche en plissant les yeux : c’est la terre. Une terre immense, au moins trois fois plus vaste que son île. Elle frémit en se penchant par-dessus bord. Elle va bientôt arriver.
Une heure plus tard, le bateau jette l’ancre près d’une petite plage, et elle saute à l’eau. Elle nage et atteint le carré de sable rapidement. Elle n’en pouvait plus de ces odeurs de cadavres.
Les gostofs la suivent, le visage vide de toute émotion. Elle les fixe, profondément troublée.
Elle les a tués dans les pires circonstances et elle s’en veut, mais elle leur en veut encore plus. Elle veut les punir de lui avoir tout pris, tout volé. Alors elle leur parle, de toute sa volonté, et leur donne un dernier ordre.
« -Je n’ai plus besoin de vous ici… Partez, voguez sur votre coquille de noix jusqu’à ce qu’elle pourrisse et tombe en miette! Je ne veux plus jamais vous revoir! »
Alors les gostofs regagnent le navire, et lèvent l’ancre. Elle reste un instant sur la rive, observant le lourd vaisseau s’éloigner lentement, et elle se détourne. Elle quitte la plage.
Voilà, tu sais tout maintenant… Bien sûr, je crois que tu devines un peu la suite. Quand la colère est passée, elle a été horrifiée par ce qu’elle a fait, et elle s’est juré de ne plus jamais donner d’ordre à n’importe quel Gostof.
Pour ne pas qu’on la reconnaisse, elle a abandonné son nom… Et elle est devenue Ophtalmologix. Pseudo pourri, moi aussi je le pense.
Ensuite, elle a dû apprendre à vivre dans ce monde étranger… Elle a dû apprendre comment se faire de l’argent, apprendre des métiers, et elle a finit par porter un monocle pour cacher son œil, trop reconnaissable… Vois-tu, elle a peur qu’un jour on la reconnaisse comme une sorcière, et qu’on la tue, elle et tout ceux qui essayerons de la protéger. Comme sur l’île…
Dans les mines, elle a fait une rencontre étrange… Elle a rencontré Nakyo, le meneur de l’équipage de l’Infinite. Il lui a proposé de rejoindre son équipage…
Je ne sais pas pourquoi il a fait ça, mais elle a accepté. Ho, elle était méfiante et elle a finit par quitter l’équipage au bout d’un an et demi, à ses douze ans… Pour les protéger d’elle. Et puis, elle a vagabondé un peu pendant cinq ans, jusqu’à s'enrôler dans l’équipage des Gélupirates.
Oui, elle s’est à nouveau enrôlée chez des pirates. Il faut croire qu’elle a ça dans le sang.
Ensuite, beaucoup de choses sont arrivées. Entre autres, elle s'est mariée avec Black Bart, un Iop plus vieux qu'elle. Et par la suite, elle est tombée enceinte... mais pas de lui, malheureusement.
D'un sacrieur, appelé Samovar, qui voulait un héritier, et qui as jeté son dévolu sur elle en tant que "mère porteuse".
A la naissance du gamin, elle a quitté les gélupirates pour fuir le père.
Seule, sans aide, maman à seulement dix-sept ans, et son mari qui semblait avoir disparu de la surface du monde... Il lui fallait des alliés puissants. Des gens pour la protéger, elle et son enfant, Aldorn.
Alors Phénixia l'a aidée à rejoindre l'Ordre.
Aujourd'hui, peu sont les personnes à connaître son passé étrange, et son pouvoir dérangeant. Ils se comptent sur les doigts d'une main : Phénixia, Black Bart, Nakyo... Et c'est tout. Quoiques, cette disciple de Xélor, Aune... Elle en sait sûrement beaucoup. Voire un peu trop.
Ha, c’est déjà l’heure ! Je vais devoir te laisser, elle va bientôt se réveiller, et là… Faut que je me dépêche !
Comment ça la suite ? Allons… ne te l’ai-je pas dit ? Tout ça n’est qu’un rêve… La suite te viendra peut-être un jour, en rêve...En attendant, fais de beaux rêves.
Dernière édition par Ophtalmologix le Lun 12 Nov - 21:39, édité 2 fois | |
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