Le journal d'une Boulette

Après avoir brossé durant un certain temps ses longs cheveux argentés, la sadida se détourna de la coiffeuse et pris de quoi écrire. Elle jeta un rapide coup d’œil sur son uniforme de guilde qui séchait dans un coin de la pièce avant de se diriger vers son petit jardin.
Comme toujours, le piou courait derrière le petit boufton, prêt à lui bequeter le derrière. Sigile soupira en constatant que jour après jour, le boufton était incapable de prendre le dessus sur un misérable volatile. Si d’ici la fin de la semaine le bébé bouftou ne faisait pas preuve d’un peu plus de témérité, il passera à la casserole : c’était décidé !

D’un mouvement du pied elle chassa le piou qui trainait trop près, puis elle s’installa sur l’herbe et disposa son nécessaire à écriture autour d’elle.
La Sadida avait décidé de prendre des notes sur chacun de ses gardiens. Le nombre de ces derniers avait augmenté plus vite qu’escompté, bientôt la dizaine serait atteinte. Sans oublier que certains avaient du s’absenter à cause d’obligations personnelles. Malheureusement, Sigile ne pouvait pas les enchainer dans son havre-sac, c’était bien trop petit !

Ooh qu’elle était furieuse.
Se moquer d’elle était inadmissible ! Ancienne pirate, elle avait écumé les mers, voyageant de terres en terres lors de la Catastrophe afin d’apporter de l’aide. Puis elle avait retrouvé la Nation de son cœur Brâkmar. Elle s’était joint au Clan Kas’Crânes pour finalement l’abandonner et se rallier à l’Ordre. Et pourtant … ! Un satané Sacrieur qui ne portait l’uniforme que depuis quelques semaines, accompagné d’un Vaurien de chacha aussi pauvre que malchanceux, osaient remettre sa réputation en jeu.

Oh que oui il était malchanceux, ou tout simplement stupide pour avoir osé provoquer la Sadida. Elle aurait pu très bien user de son statut au sein de l’Ordre pour le faire souffrir et lui mettre des ronces dans les pattes, mais elle avait beaucoup trop d’honneur pour user ainsi de son rang. Non… Sa vengeance se ferait par ses propres moyens, et déjà une idée germait dans son esprit.

Un couinement de douleur la fit sortir de ses pensées. Des larmes perlaient aux coins des yeux de sa goulue, posée sur ses genoux. Tandis qu’elle ruminait dans sa tête, les caresses destinées à sa poupée s’étaient changées en griffures. Ses ongles avaient réussis à percer le tissus qui faisait office de corps à sa goulue.

« Ooh ma pauvre chérie ! Viens là que je te soigne » Sans attendre, elle récupéra fils et aiguille et coinça la poupée entre ses cuisses, l’immobilisant afin de mieux la recoudre. La créature tremblait de tout son corps et des couinements successifs sortaient de sa bouche.
« Silence où je te brûle ! » Les signes de peur cessèrent alors, laissant la Sadida terminer son travail.

Ainsi fait, elle posa en douceur la poupée sur la pelouse de son jardin et se redressa. Elle retourna ensuite dans son salon, récupéra une bouteille de rhum sur l’étagère et s’installa à la table où était disposé son journal. Relisant ce qu’elle avait précédemment écrit, elle s’enfila plusieurs rasades d’alcool.


«
Cher journal,

J’ai finalement pris la décision d’accepter Pandawan (il faudrait d’ailleurs que je vérifie l’orthographe de son nom) en tant que Gardien numéro 8. Après tout, son acharnement à vouloir rentrer à mon service m’a fait chaud au cœur, nous verrons en temps et en heure si il est vraiment utile ou non. A défaut, peut-être envisagerais d’en faire mon valet.

S’en suit que j’ai finalement trouvé mon Gardien numéro 9, Arigatto. Il est vrai que je désirais quelqu’un de particulier pour cette position, bien qu’à l’origine je n’aie pas pensé à lui, je pense que sa place est en faite justifiée. Après tout, c’est lui qui m’a permis de mettre The Light Night à mon service. Toujours prêt à combattre, cet homme est une force de frape sur laquelle je peux véritablement compter. Sans oublier qu’il ne résiste pas à ma voix d’or et à mes cheveux d’argent…

Puis je pensais avoir trouvé mon Gardien numéro 10 avec Yumen, un Vaurien de chez nous depuis peu. Mais j’ai été victime d’une mascarade, puisqu’après m’avoir supplié jusqu’à ce que j’accepte, il a refusé d’endosser ce rôle avec moquerie…

Je pense avoir suffisamment de membres de l’Ordre parmi mes Gardes, il est temps que je me trouve d’avantage de combattants extérieurs. Dès lors, je pourrais les envoyer sur les traces de ceux de la guilde qui osent se moquer de moi. Je ferais ainsi couler le sang sur les terres de Kelba où ils aiment tant se terrer ! »

Sigile hésita un instant, sa plume suspendue en l’air. Pensive, elle s’enfila une nouvelle rasade de rhum pour finalement se remettre à écrire.

« Tsah est venue me voir il y a peu. Visiblement on voudrait faire de moi l’un des Bras Droit, sans doute le rôle le plus important au sein de l’Ordre…
Je me souviens de l’époque, chez les Bananas Pirates, où je n’avais eu de cesse d’essayer de convaincre mon Capitaine Isho de me faire Seconde. Mais c’est Aranael, qui avait toujours eu cette place. Je ne pouvais lui en vouloir tellement je l’aimais.
Mais entre un poste de Second dans un équipage de 20 personnes et celui de Bras Droit au sein de l’Ordre qui est trois fois plus grand, rien que d’y penser, j’ai les poils qui s’hérissent d’excitation !
Notre chef Kanapey devait certainement être trop occupé à draguer des minettes sans cervelle pour ne pas me faire lui-même cette proposition. Mais qu’importe, attirer l’attention de Tsah m’apporte beaucoup plus de fierté. Si notre cher Despote dragueur m’avait de lui-même fait cette proposition, j’aurais certainement soupçonné un sous entendu. Rien que de penser à lui, son visage pervers et sournois me … »

Le visage de la Sadida se déforma dans une superbe grimace. Décidemment… Déjà qu’elle n’appréciait pas vraiment les Sacrieurs, alors les voir en plus avec une expression similaire à celle de Kanapey, ça la rebutait d’avantage. Heureusement que ce dernier avait une certaine prestance et une bonne réputation, ça compensait son manque de courtoisie et son obsession pour les femmes.

« … Bref.
Est-ce ma force lors des combats qui me vaut cette promotion ? ou bien ma voix d’or et ma chevelure d’argent ? J’opterais plutôt pour cette dernière raison. Nous avons tellement de brutes sans cervelles parmi les Boulets que je pense qu’une touche féminine était nécessaire chez les têtes pensantes. Oh non pas que Alise ne soit pas assez féminine, mais elle est la maîtresse incontestable de l’Ordre, c’est impossible de lui coller une quelconque étiquette. Malgré mon assurance, je sais que je ne fais pas le poids face à elle et c’est même avec plaisir que je me soumets à sa volonté. Voila une femme digne qui a su dominer ces rustres mâles, c’est un exemple que je ne cesserais de suivre.

On m’a d’ailleurs conseillé d’aller m’acheter un nouveau fouet, ce n’est pas une mauvaise idée. J’imagine plutôt bien un poignet en fer forgé sertis de rubis ainsi que quelques piques supplémentaire sur la lanière à l’image de mes ronces.

Quoi qu’il en soit, je pense m’être assez attardée à la maison. Il est temps que je retourne dans les mines si je veux pouvoir faire les boutiques en toute tranquillité.
Un Bras Droit se doit d’être dignement vêtu pour commander ! »